Il n’est pas encore publié mais il déclenche déjà une levée de boucliers dans le monde médical. Ce décret, attendu à la fin du mois de mars, prévoit de créer un statut d’infirmier en pratique avancée (IPA). Un diplôme obtenu au bout de cursus de cinq ans (au lieu de trois pour les infirmiers) qui permettra à ces nouveaux professionnels de prescrire certains examens ou médicaments et de participer, en concertation avec le médecin, au suivi de malades chroniques.
Déjà officialisée dans la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) de Roselyne Bachelot en 2009, la délégation de tâches est un des leviers importants pour lutter contre les déserts médicaux et désengorger les salles d’attente des médecins.
Au manque de généralistes dans certains territoires s’ajoute l’incapacité de milliers d’entre eux à accepter de nouveaux patients. Avec deux ou trois fois plus de consultations par jour que la moyenne nationale (22), ces professionnels alignent des journées de 13 heures et refusent les nouvelles demandes. A Paris, dans les villes moyennes et dans les zones les plus isolées, les malades doivent alors attendre plusieurs semaines avant de pouvoir pousser la porte d’un cabinet médical.
L’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Canada et d’autres pays ont mis en place avec succès ces nouvelles formes de collaboration entre professionnels de santé. Plusieurs hôpitaux français, dont l’AP-HP à Paris, permettent ainsi aux médecins de se concentrer davantage sur la consultation que sur des tâches dont leur valeur ajoutée n’est pas démontrée.
Interrogés il y a quelques années dans le cadre d’une étude menée par la Dress (1), six médecins sur dix considéraient que « l’intervention d’une infirmière améliorerait la qualité des soins prodigués au patient, 53 % qu’elle leur permettrait de revoir le contenu de leur consultation pour une meilleure prise en charge et 40 % qu’ils pourraient utiliser le temps gagné pour leur développement personnel ».
Les représentants de la profession font entendre un autre son de cloche. Plusieurs syndicats médicaux dénoncent ni plus ni moins le « dépeçage en règle de la médecine libérale de proximité », et une atteinte au rôle du médecin dans le parcours de soins. Tous jurant la main sur le cœur qu’ils ne sont pas opposés sur le fond à la délégation de tâches.
Et pourtant, comme le relève Le Figaro, le ministère de la Santé se veut rassurant. L’infirmier en pratique avancée interviendra « dans le cadre de domaines d’intervention définis et après avoir suivi la formation correspondante, auprès de patients que le médecin lui aura adressés ».
Plus surprenant, l’Ordre des infirmiers redoute « un rendez-vous manqué » même s’il se réjouit de cette mesure. Le mot consultation ne figure pas dans le texte pour traduire ces nouvelles fonctions et l’infirmier devra être missionné par le médecin pour voir un patient.
Lorsque les réformes du système de santé ne se heurtent pas aux corporatismes, elles sont confrontées aux postures. Bien souvent, ce sont les deux à la fois qui font qu’un projet ambitieux se perde dans des expérimentations sans fin.
(1) Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques