C’est un dîner banal en famille. Sauf que ce soir là, le petit Quentin a une grande nouvelle à partager avec ses parents et surtout avec son père. « Moi aussi, plus tard, je serai médecin », dit le garçon sur un ton affirmé. Au lieu de se réjouir, le papa le coupe dans son élan et le renvoie dans ses cordes : « Arrête de faire pleurer ta mère. »
Cette scène a été croquée par Plantu dans les années 2000. Paru dans les colonnes du Monde, ce dessin marquait déjà la fin de l’âge d’or de la médecine. Une époque où la parole médicale était respectée et la vocation de la blouse blanche encouragée.
La publication de trois documents cette semaine rappelle que le médecin n’est plus, dans bien des cas, un professionnel respecté mais un bien de consommation courant. Et les études médicales relèvent plus du cauchemar que de la voie royale.
Dessin de Plantu publié dans le journal Le Monde
Quentin en sait quelque chose. En dépit des avertissements de son père, il a fait médecine. Il avait la foi mais a vite déchanté. Trop de bachotage, de pression pour améliorer la rentabilité, comme deux étudiants sur trois en santé, il a souffert d’anxiété. Et encore, il n’a pas connu les troubles dépressifs (28 %) ou les idées suicidaires (14 %) de ses camarades de fac.
Ce « mal-être des étudiants en santé » que décrypte le Dr Donata Marra dans un rapport remis cette semaine à Agnès Buzyn, a plusieurs causes. « La perte du collectif dans le soin s’étend à une rupture entre jeunes soignants et seniors », souligne la psychiatre. Avec plus d’étudiants et moins d’enseignants, « le compagnonnage », que vantait le père de Quentin pour former les futurs médecins, se dilue dans les tâches administratives. Cet effritement des repères humains a transformé le parcours du jeune étudiant en « un tunnel ininterrompu du premier cycle au troisième cycle », comme l’évoque l’auteur du rapport.
Mais les propos d’Agnès Buzyn l’ont un peu rasséréné. « Les futurs professionnels de santé sont une richesse pour notre pays et nous devons leur offrir les conditions d’études qu’ils méritent », a déclaré la ministre de la Santé en promettant que des mesures seront bientôt présentées par le gouvernement.
Des promesses pour répondre à une détresse, Quentin reste prudent. Comment donner du sens à son engagement dans la médecine si l’apprentissage le met déjà sur des mauvaises rails ?
Il vient d’ailleurs de croiser dans les couloirs de l’hôpital européen Georges Pompidou (HEGP), le Pr Philippe Halimi. Ce chef du service de radiologie est terriblement inquiet « par le nombre de collègues en danger ». Il dénonce, dans un ouvrage co-écrit avec le Pr Chrisitian Marescaux (1) paru cette semaine, « un système hospitalier devenu fou, absurde qui pousse les équipes à soigner au plus vite ».
Selon lui, la dictature du chiffre, de la rentabilité et des économies met « en danger les patients et les soignants ». Ces derniers perdent « le goût de travailler, parfois même le goût de vivre ».
Le Pr Halimi sait de quoi il parle. Ce lanceur d’alerte a créé l’Association Nationale Jean-Louis Mégnien du nom de ce confrère cardiologue qui s’est défenestré le 17 décembre 2015 à l’HEGP. Pour le radiologue, cet acte désespéré n’est pas isolé. Les cas de maltraitance et le harcèlement au sein de l’hôpital public seraient légion à l’hôpital, .
Du coup, Quentin s’interroge sur son avenir. Lui qui rêvait d’embrasser une carrière hospitalière pour travailler en équipe au contact des malades, se demande s’il ne va pas bifurquer vers la médecine de ville. Mais en lisant son quotidien, il se ravise. Ce n’est pas dans les pages santé mais à la rubrique faits divers qu’il est interpellé par le récit d’une consœur, elle aussi remplaçante. Le Dr Claire Marie raconte dans le colonnes du journal comment elle a reçu quelques jours auparavant un coup de poing d’un de ses patients. Il lui reprochait de l’avoir mal examiné et de poser des « questions idiotes ».
Le cas de cette généraliste de Dunkerque n’est plus une exception. Le cap des 1 000 agressions a été franchi en 2017, dénonce l’Ordre des médecins dans son observatoire de la sécurité présenté cette semaine. Crachats, vols agressions sexuelles, verbales, coups, dans 51 % des cas, le la victime est une femme. « S’attaquer au médecin, c’est attaquer à un symbole ». En lisant ce commentaire du Dr Marie, Quentin repense à celui d’une patiente lors d’un remplacement qu’il a effectué près de Bordeaux. « Alors Docteur, ça ne va pas aujourd’hui », s’était exclamée la sexagénaire en voyant le médecin fatigué dès le début de journée. Parce que si vous êtes malade, qui va nous soigner ? Quentin, le docteur, lui a promis qu’il irait mieux dès le lendemain.
(1) Hôpitaux en détresse, patients en danger. Arrêtez le massacre ! (Ed. Flammarion)
Motifs d’agression envers un médecin
Source : OBSERVATOIRE DE LA SÉCURITÉ DES MÉDECINS EN 2017