La liberté de conscience des médecins doit-elle s’arrêter là où le droit des femmes commence ? Le 28 septembre dernier, la sénatrice socialiste, Laurence Rossignol, a déposé une proposition de loi visant à abroger la clause de conscience que peuvent invoquer les professionnels de santé (médecins, sages-femmes, infirmières) pour refuser de « concourir » à une interruption volontaire de grossesse (IVG). Inscrit dans le code de santé publique en 1975, cet article (L2212-8) avait permis de calmer la colère d’une partie du corps médical lors du vote de la loi Veil.
Si l’ancienne ministre de la Famille dégoupille cette grenade plus de quarante ans après, ce n’est pas un hasard.
Le Dr Bertrand de Rochambeau avait déterré l’engin explosif quelques jours plus tôt. Dans l’émission Quotidien (TMC), le président du Syndicat national des gynécologues (Syngof) avait assimilé cet acte médical à « un homicide ». Et d’ajouter : « nous ne sommes pas là pour retirer des vies ». Des propos tenus à titre personnel, avait-il précisé, mais qui avaient déclenché la colère et l’indignation d’une grande majorité de ses confrères, de nombreux mouvements associatifs et de la ministre de la Santé. Le Syngof s’était désolidarisé de cette déclaration sans pour autant débarquer son président.
« Ses propos ont changé la donne », estime aujourd’hui la sénatrice en soulignant que cet article sur la clause de conscience vise à « stigmatiser l’avortement ». Il est vrai que le code de déontologie permet déjà au médecin d’invoquer ce recours.
La question de fond demeure. Comment pourrait-on supprimer cette liberté si ce n’est de considérer le médecin comme un simple distributeur d’actes médicaux ? Ne lui reproche-t-on pas souvent son manque d’humanité et d’empathie avec ses patients ? Son droit de refuser de pratiquer une IVG fait partie de cette humanité, même si nous ne la partageons pas. L’honnêteté est un élément essentiel du colloque singulier avec sa patiente. Quelle serait alors la réaction d’une femme face à un médecin qui accepterait de faire une IVG tout en avouant qu’il est contre ? Il faut préférer le dogme à la raison pour prétendre que cett serait sereine durant l’intervention.
Ce droit donné au médecin lui impose des devoirs : éviter toute forme de prosélytisme sur le sujet ou discours moralisateur et faire en sorte que la patiente puisse réaliser une IVG dans de bonnes conditions.
Pour garantir la clause de conscience mais surtout protéger les femmes des humiliations dont elles sont parfois victimes durant les consultations, le Conseil de l’Ordre des médecins (1) devrait veiller plus activement au respect de ces règles et à faire preuve d’une grande sévérité lorsque l’un des siens les transgresse.
Les faiseurs de polémiques et les auteurs de déclarations d’un autre temps feraient mieux de regarder dans la bonne direction. Dans une tribune publiée par Le Parisien, le Pr René Frydman, spécialiste de la reproduction, propose, par exemple, d’ouvrir cette pratique aux sages-femmes et aux généralistes et de développer les cours d’éducation sexuelle en 3e pour faire baisser le nombre d’IVG. Une femme sur trois y a eu recours au cours de sa vie et le nombre d’interruptions de grossesse reste stable (216 700 en 2017). A cet égard, les propositions du Syngof seraient bienvenues.
Aux pouvoirs publics le soin de garantir que l’offre en matière d’IVG soit suffisante et également répartie sur tout le territoire.
(1) « Le médecin contacté a parfaitement le droit d’invoquer sa clause de conscience personnelle, rappelle le Conseil de l’Ordre. Toutefois le code de déontologie précise que, lorsqu’il se dégage de sa mission, quel qu’en soit le motif, le médecin doit impérativement en avertir le patient et transmettre sans délai à un autre médecin désigné par ce patient, toutes les informations utiles à la poursuite de la prise en charge ».