A-t-on assisté ces derniers jours à un bal d’hypocrites avec, sur scène, la ministre de la Santé et, en coulisse, les représentants des complémentaires santé ? Missionnée par l’Elysée pour surligner les mesures sociales adoptés dans le cadre du budget de la sécurité sociale, Agnès Buzyn a vaillamment porté l’étendard du reste à charge zéro pour les assurés.
Rebaptisée 100 % santé, cette mesure prévoit d’ici à 2021 le remboursement intégral de certaines lunettes, prothèses dentaires et auditives. Objectif louable, donner aux plus vulnérables l’accès à des prestations sur lesquelles, jusqu’à présent, ils devaient rogner.
Pour parvenir à cet objectif, les mutuelles et les assureurs sont mis à contribution à hauteur de 250 millions d’euros sur trois ans, soit le quart du coût de cette réforme. Ce dispositif a été « longuement travaillé pendant huit mois », a confié la ministre au micro de Jean-Jacques Bourdin tout en lançant un avertissement à peine voilé à ces opérateurs. « On ne va pas revenir en refaisant le match et en m’expliquant que les mutuelles vont augmenter », a ajouté Agnès Buzyn en précisant que ces tarifs augmentent classiquement de 1 à 2 % par an. « Je ne vois pourquoi elles augmenteraient leurs coûts au-delà de cette tendance ».
Ce coup de semonce n’est pas fortuit. Il intervient au moment où plusieurs analystes du secteur tablent plutôt sur une hausse de 4 % des tarifs à partir de 2019. Le gouvernement a beau expliquer que la réforme du 100 % santé ne coûtera que 0,14 % de leur chiffre d’affaire aux complémentaires d’ici à 2023, leurs dirigeants observent, eux, une prudence de sioux. D’autant qu’ils nagent dans l’inconnu alors que la prévision du risque est normalement leur bible. Le président de la Fédération française des sociétés d’assurance, Bernard Spitz, le reconnaît de manière explicite : « Nous sommes favorables à cette réforme sur le principe mais personne ne sait à quel rythme les Français vont se l’approprier. Si nous constations un dérapage avec le comité de suivi, nous devrons en tirer les conséquences ». Le message est clair.
Hausse des tarifs, oui et pour qui ? Là encore, les nuages s’amoncellent sur la réforme. Ce sont les premiers concernés – les moins bien soignés et les plus gros consommateurs de soins – qui pourraient en faire les frais.
Selon le cabinet Mercer, l’impact de la réforme serait «limité » pour les contrats haut de gamme et beaucoup plus important (4,8 %) pour les contrats d’entrée de gamme, c’est-à-dire pour tous ceux qui, jusqu’à présent, avaient renoncé à ces soins.
De son côté, le cabinet Santiane estime que la hausse des cotisations serait de 9,5 % pour les seniors et de 2,5 % pour les mois de 60 ans. Selon cette étude comparative, un retraité devrait débourser 95 euros pour sa prime mensuelle contre 85 aujourd’hui.
L’opposition s’est empressée d’enfoncer le fer dans la plaie. « La promesse d’Emmanuel Macron d’un reste à charge zéro sans augmentation des tarifs ne sera pas tenue », pronostique Jean Leonetti, vice-président délégué des Républicains, en pointant du doigt l’évolution des années précédentes.
L’étude du mensuel UFC-Que choisir révélait en juin dernier que le montant des cotisations des mutuelles et des assureurs avait progressé de 47 % depuis 2006 avec une explosion des frais de gestion (7,2 milliards d’euros, soit + 30 % depuis 2010).
Voilà pourquoi le gouvernement souhaite mettre en place un comité de suivi sur les hausses des tarifs. Un député de la majorité prévient : « C’est donnant-donnant. Sinon, on pourrait aussi prendre des mesures qui leur soient moins favorables dans le prochain budget de la Sécu. » La bataille ne fait que commencer !