« T’are ta gueule à la récré ». Alain Souchon avait raison. Plus de quarante ans après, les paroles du chanteur n’ont pas pris une ride : la cour de récréation était et reste un lieu de pouvoir et d’inégalité. C’est même dans cette aire de détente que, dès le collège et même avant, se dessinent les premiers contours des effets de genre. Les garçons sont « au centre », les filles « sont sur le côté », résume l’Unicef-France dans un rapport présenté ce jeudi (Quel genre de vie, Filles et garçons : inégalités, harcèlements, relations) à l’occasion de la journée nationale contre le harcèlement scolaire.
Illustration : Lisa Mandel
Pour la quatrième année, l’agence des Nations unies a mené une consultation nationale à l’aide de questionnaires auprès de 26 000 enfants âgés de 6 à 18 ans dans 132 villes. « La connaissance des enfants est aussi le plus souvent acquise par l’avis des adultes », rappellent les auteurs, Serge Paugam (sociologue) et Édith Maruéjouls, (géographe du genre) en précisant leur objectif. « Une partie des inégalités entre les femmes et les hommes adultes peuvent s’expliquer par l’écart initial déjà visible dans l’enfance. Si l’on tente de prévenir ces inégalités, il faut donc se donner les moyens de les évaluer de façon précise ».
Et tout commence par le lieu de vie. Les privations, les moqueries, les discriminations ethniques et religieuses sont plus fréquentes dans les quartiers populaires ou prioritaires qu’au centre-ville. Elles touchent autant les garçons que les filles mais ces dernières sont plus affectées par les remarques sur les tenues vestimentaires « trop » ou « pas assez féminines ».
Dans l’espace public, les transports en commun, ou sur internet, les filles sont deux fois plus harcelées que les garçons. Et l’école n’épargne personne. Dès l’âge de 7/8 ans, un enfant sur deux se plaint des attaques blessantes de ses camarades. Cependant, les collégiennes s’y sentent un peu plus à l’abri.
Le sentiment d’inégalité prend racine à la préadolescence. 45 % des filles et 30 % des garçons estiment avoir moins de droit que le sexe opposé. C’est à d’ailleurs à cet âge que les filles commencent à se protéger en restreignant leur « liberté de mouvement ». Mais ce sont aussi elles qui font preuve d’une plus grande ouverture d’esprit, qu’il s’agisse des relations amicales ou amoureuses entre personnes du même sexe. « Autrement dit, appuie le rapport, les garçons sont plus sensibles à l’idée d’une séparation entre les sexes ».
Le mouvement de « transformation égalitaire des rapports entre les sexes » auquel s’attellent le citoyen et le politique serait voué à l’échec s’il ne prenait pas en compte cette dimension éducative. Selon les réponses à la consultation de l’Unicef, de « nombreuses résistances » à ces évolutions perdurent. « Deux jeunes sur trois pratiquant une activité de loisir subventionnée sont des garçons ». Un tiers des adolescents n’ont pas accès aux informations sur les risques liés à la sexualité et aux pratiques addictives.
Si l’égalité se construit dès l’enfance, elle doit également se voir dans le territoire urbain. Pour que les femmes puissent se réapproprier l’espace public sans réserve, « l’aménagement du territoire sous l’angle du genre doit donc intégrer l’autolimitation par les femmes elles-mêmes à user librement de la ville, impact majeur de la mixité », préconisent les auteurs du rapport. Ils proposent de repenser la ville en fonction du genre et non plus autour de l’habitant. Non pas dans l’idée de séparer les sexes mais au contraire d’en faire un lieu de partage. Tout comme la cour de récréation !