Des gilets jaunes aux blouses blanches

Du pacte à l’état d’urgence. Il aura suffi de quelques semaines pour déchirer le lien social qui rattachait les Français à leur Nation. Si Emmanuel Macron s’est évertué durant sa campagne présidentielle à asphyxier la classe politique de l’ancien monde, les gilets jaunes lui ont montré dix-huit mois plus tard que, dans le nouveau, la colère et la violence n’avaient plus de porte-parole. Ni de limites.
Exit les corps intermédiaires pour le premier, oubliés les syndicats sur les ronds-points tenus par les seconds, les protagonistes ont ouvert une nouvelle forme d’expression dans laquelle la seule limite tient à la capacité de résistance de l’adversaire. Le dialogue social n’a plus cours, place à la surenchère permanente et aux renoncements en rase campagne.
Et peu importe si sur des sujets ambitieux, comme celui des retraites, le gouvernement a choisi la voie de la consultation à celle de la précipitation. Comme tout mouvement radical, celui-là n’échappe pas au manque de discernement.

Les gilets jaunes ne portent pas la responsabilité de ce délitement démocratique, ils n’en sont que les premiers messagers. Voilà pourquoi ce face-à-face à distance entre un Président et un peuple n’est pas un simple et peu reluisant épisode d’un quinquennat ébranlé. Par son caractère imprévisible, inqualifiable, impitoyable, il bouleverse le rapport de force entre le citoyen et le pouvoir.

Pourtant, les signes d’alerte se sont multipliés ces dernières années. Les votes protestataires et les taux d’abstention élevés aux différentes élections ne faisaient que traduire le fossé entre la France qui sait et les Français qui la vivent dans les champs arides, les petites bourgades désertées ou les métropoles écrasantes.

Le malaise s’est transformé en maladie chronique, l’énergie du désespoir a fait le reste.

Aujourd’hui, les gilets jaunes et, demain qui ? Depuis des années, l’hôpital est une marmite en surchauffe. Les aides soignantes, les infirmières sont à bout de souffle, les médecins ont perdu le sens de leur mission et l’administration gère la pénurie. Si le pouvoir d’achat compte dans les revendications, c’est plutôt le sentiment d’abandon qui domine dans les motifs de la colère. L’absence de reconnaissance, la certitude de ne pas être écouté gangrènent ce grand corps malade. Selon le dernier carnet de santé Odoxa-MNH (1), 35 % des professionnels de santé interrogés ont connu un problème de santé, hors maladie chronique, au cours des deux derniers mois (21 % pour l’ensemble des Français).

Comptant sur le dévouement des personnels et leur sens du service public, l’Etat calme les symptômes. Crise des urgences, burn out, suicides à répétition, à chaque crise sa commission ou son plan. Ce gouvernement n’a pas échappé à la séquence de la grande ambition pour le secteur hospitalier. Il fixe un dessein pour 2022 mais rien de tangible pour demain. Entre les attentes et la réponse, la conjugaison des temps ne se fait plus.

Alors, lorsque les projecteurs et les caméras se sont éteints, que les grands penseurs de l’hôpital ont rejoint leur bureau, que dire à ceux dont le quotidien n’a pas évolué depuis des lustres ? Et qu’il ne changera pas. Que répondre à cette infirmière qui confie que son rythme de travail met en danger la santé des patients ?
Faudra-t-il un million de blouses blanches dans les rues pour réaliser que ceux qui prennent soin de nous sont vraiment au plus mal ?

(1) Sondage réalisé auprès de 6078 professionnels de  santé pour le Quotidien du médecin, le Figaro santé et France Info

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