Cinquante millions de dollars sur la table. C’est la somme que vient de donner le milliardaire Michael Bloomberg pour lutter contre les ravages des opiacés aux Etats-Unis. Grand défenseur de la santé publique, l’ex-maire de New-York a découvert en décembre dernier une statistique effrayante. Pour la première fois depuis la grande épidémie de grippe de 1918, l’espérance de vie des Américains continue à baisser aux Etats-Unis en 2017 par rapport à 2014.
Principales responsables, les overdoses de drogue qui font 70 000 morts par an dans le pays. Elles sont liées aux drogues illicites (cocaïne, méthamphétamine, MDMA, etc) mais surtout à des médicaments antidouleur prescrits par des médecins mais détournés de leur usage, comme la morphine ou le fentanyl, un opiacé synthétique particulièrement redoutable.
« Ce qui a commencé il y a plus de deux décennies comme un problème de santé publique, principalement pour des hommes blancs jeunes et d’âge moyen, est maintenant une épidémie d’abus d’opioïde par ordonnance ou illicite, qui a des répercussions sur chaque tranche de la société américaine », ont déclaré des chercheurs du National Safety Council (NSC). Selon leur rapport présenté cette semaine, le risque de succomber à une overdose d’opioïde est plus important que celui de mourir dans un accident de voiture.

Si « l’épidémie » a déjà contaminé les Etats-Unis, la menace est mondiale. Sur les 255 millions d’usagers de drogue recensés par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), 35 millions ont recours aux opiacés. Dans certains pays, la consommation de ces substances psychoactives progresse de 10 % par an.

Avec 500 décès par an, la France ne connaît pas encore l’enfer de la surconsommation des médicaments antalgiques. Mais les spécialistes sont en alerte. L’addiction aux opiacés est la première cause de mort par overdose, relevait Le Monde en octobre dernier dans un éditorial intitulé Overdose sur ordonnance.
Et les signes de l’augmentation de la dépendance à ces substances sont bien là. L’Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA) faisait état l’an passé d’une progression entre 2000 et 2017 de 167 % du nombre d’hospitalisations liées à une overdose aux opioïdes et de 146 % pour le nombre de décès entre 2000 et 2015.

Comment expliquer une telle progression ? Jusque là négligée, la lutte contre la douleur notamment pour les maladies chroniques est devenue une priorité à l’hôpital et en médecine de ville à partir des années 2 000. Bien après les pays anglo-saxons. Résultat, 12 millions de Français ont recours à des opioïdes. Les prescriptions prolongées, l’automédication, l’élargissement des indications ont banalisé la consommation de codéine, de tramadol ou de l’oxycodone. Au point de devenir pour certains une véritable addiction.

« On a créé une population de dépendants et ça devient une maladie chronique », constate Nicolas Authier, responsable de l’OFMA. Mais pas question de dramatiser la situation, relativise ce psychiatre dans un entretien donné en 2018 à20 minutes. A la différence des Américains, champions du marketing pharmaceutique, la vente de ces médicaments dans l’Hexagone reste bien encadrée et la publicité contrôlée.  Ce spécialiste reconnaît néanmoins que la difficulté est de trouver « le juste équilibre » car, ajoute-t-il, « on ne peut pas laisser souffrir les gens ».

De l’autre côté de l’Atlantique, le ton se veut beaucoup plus alarmiste. « Trop de personnes pensent encore que la crise liée aux opioïdes est abstraite et ne les touchera pas. Beaucoup ne la voient pas encore comme une menace majeure pour eux ou leur famille », prévient Maureen Vogel, porte-parole du National Safety Council. Comment ne pas partager cette mise en garde ? Près d’un Français sur trois se plaint de douleur chronique. !