La santé malade d’un double discours

A première vue, professionnels et usagers auraient dû applaudir des deux mains. Le projet de loi santé présenté cette semaine par Agnès Buzyn en Conseil des ministres préfigure une réforme profonde et juste du système de santé. Fin du numérus clausus, augmentation de 20 % du nombre de futurs médecins formés, évaluation territoriale des besoins de santé, labellisation de 500 hôpitaux de proximité, avec ces mesures, la ministre de la Santé met fin à l’illusion d’une médecine dans laquelle sécurité rime avec proximité. N’en déplaise à certains édiles de petites communes et à leurs électeurs, chaque canton de France ne peut pas être doté d’un centre hospitalier.
En réorientant des petits hôpitaux vers les actes et les examens courants, la périnatalité et la gériatrie et en donnant accès plus facilement aux CHU pour des prises en charge plus lourdes, la ministre donne une réponse médicale dans un contexte budgétaire contraint.

Les observateurs et les acteurs de la santé le savent bien. Et pourtant, les syndicats de médecins libéraux et les représentants des hospitaliers ont accueilli avec le même scepticisme ce nouveau plan. Les uns ont mis en avant le caractère imprécis de ces propositions, d’autres, l’absence de moyens financiers pour mener à bien ces réformes. Tous ont dénoncé le manque de concertation avec la profession.

Mais derrière ces objections de circonstance qui entretiennent le rapport de force entre syndicats et pouvoir se cache sans doute une crainte plus profonde. Ce gouvernement comme ses prédécesseurs masquerait derrière cet écran de fumée une vision productiviste de la santé. C’est déjà le cas à l’hôpital avec la tarification à l’activité. Comme leurs confrères, les médecins de ville se méfient de cette dérive.

La semaine passée, un épisode a conforté leur crainte. Lors des négociations conventionnelles, le directeur de l’Assurance maladie aurait proposé aux médecins d’augmenter leur cadence de consultation (de 3 à 6 par heure) en échange de la création de 4 000 postes d’assistants médicaux. Leur mission : décharger les médecins des tâches administratives. Certes. Mais à moins de le transformer en robot bourré d’algorithmes, on voit mal comment un praticien pourrait prodiguer une médecine de qualité en consacrant dix minutes à son patient.
Dans cet esprit, la prévention, la promotion de l’activité physique et d’une bonne hygiène de vie, le dépistage des maladies, la lutte contre les antibiorésistances serviraient seulement de matière à des campagnes grand public et non une volonté de faire évoluer la pratique médicale.

L’effet d’annonce sans les actes, ce double discours tue dans l’œuf toute initiative et alimente depuis des décennies l’immobilisme des professionnels. Il a poussé les gilets jaunes dans la rue, il met l’hôpital en ébullition et porte un discrédit sur l’action politique. Et fait d’Agnès Buzyn une nouvelle victime collatérale.

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