Chaque jour, plus de quatre millions de personnes poussent la porte d’une pharmacie. Longtemps considéré – à tort – comme un « tiroir caisse » et un distributeur semi-automatique de médicaments, le pharmacien est en passe de devenir un acteur majeur du système de santé. Chaque réforme des pouvoirs publics le conforte dans le parcours de soins et comme recours dans les déserts médicaux.
Dans la loi Santé votée cette semaine en première lecture à l’Assemblée nationale, Agnès Buzyn a ouvert la possibilité au pharmacien de réaliser d’ici le 1er janvier 2020, des tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) pour l’angine. 80 % d’entre elles sont d’origine virale et ne nécessitent pas d’antibiotiques. Or, 10 % de l’ensemble des prescriptions de ces médicaments sont faites pour traiter une angine. En outre, moins d’un généraliste sur deux (40 %) a commandé l’an passé des Trod alors qu’ils sont gratuits et qu’ils représentent une aide précieuse au diagnostic.
Pour freiner mésusage de ces médicaments et encourager l’utilisation de ces tests rapides, le gouvernement appelle donc en renfort les officines. Cette mesure va permettre de lutter contre l’antibiorésistance mais aussi d’alléger la facture de 20 millions d’euros réglée chaque année pour rembourser des prescriptions inutiles.
Cette disposition visant à élargir les missions des pharmaciens s’ajoute à celles proposées dans de le cadre des amendements de la loi Santé et finalement retenues par la ministre de la Santé. Ainsi, pourront-ils délivrer directement des médicaments sous prescription médicale obligatoire pour des pathologies bénignes comme les cystites ou certaines angines.
Même logique pour la vaccination contre la grippe en pharmacie. Face au succès rencontré dans quatre régions-tests -700 000 personnes vaccinées en 2018-2019 – Agnès Buzyn annonçait il y a quelques jours la généralisation de ce dispositif dans toute la France.
Les députés de la majorité et le gouvernement jurent, la main sur le cœur, qu’il n’est pas question d’empiéter sur les prérogatives du médecin mais au contraire de le soulager.
En fait, il n’en est rien. Ces orientations obéissent à un pragmatisme politique.
Alors que le médecin déserte des territoires entiers et des villes, le pharmacien joue encore le rôle du dernier combattant. L’Hexagone compte 21 500 pharmacies. En 2017, la Cour des comptes pointait une officine pour 3000 habitants environ contre 4000 en Allemagne ou 7 000 en Suède. D’ailleurs, les sages de la rue Cambon notaient qu’au « regard des critères encadrant en principe la répartition démo-géographique des pharmacies, le nombre d’officines est près de deux fois supérieur au plafond règlementaire ».
Au final, il y aurait 10 000 officines en surnombre, selon la Cour. Mais à l’heure où les citoyens dénoncent les inégalités d’accès aux soins, le pharmacien reste dans les faits et pour les assurés, un professionnel de santé proximité. Pour accompagner les malades chroniques, les jeunes mamans et les personnes âgées, il est même plébiscité. Dans le village ou dans la rue commerçante, en banlieue, la croix verte reste un repaire. Le maillage serré dénoncé hier par les Sages s’avère aujourd’hui précieux.
Mais pour combien de temps encore ? La maîtrise des dépenses de santé, notamment des médicaments, les regroupements autour de structures importantes, la menace de concurrence de la part des grandes surfaces, comme Leclerc, conduisent à la fermeture d’une pharmacie tous les deux jours. En dix ans, le nombre de pharmaciens d’officine a chuté de 5,7 % alors que ceux des établissements de santé a progressé de 39 %.
La pharmacie ne fait plus rêver. Malgré le monopole préservé de la vente de médicaments, son modèle économique traditionnel s’est effondré. Il y a peine cinq ans, les pharmaciens tiraient 80 % de leurs revenus de la vente de boîtes. Elle en représente aujourd’hui 26 % et 20 % en 2020, selon Les Echos.
Au système inflationniste d’une rémunération de commerçant, les pouvoirs publics, en accord avec la profession, se sont orientés en 2015 vers des honoraires liés à l’acte de dispensation et au conseil pharmaceutique. Ils se sont ainsi rapprochés des médecins. D’un peu trop prés, estiment ces derniers.