Qu’est ce qui détermine la valeur de l’acte médical : le colloque singulier entre le médecin et son patient, la précision du diagnostic, la conformité du traitement ? Sans doute tout cela à la fois sauf que cette notion du juste soin ne suffit pas. Pour être efficace, cette proposition médicale doit être admise par le patient et adaptée à ses modes de vie. Et dans ce domaine, le compte n’y est pas.
Sur les 450 millions de diabétiques dans le monde, la moitié ignore sa maladie et 50 % des autres ne contrôlent pas correctement leur glycémie. Ces chiffres présentés cette semaine à Paris lors du colloque Pharma HealthTech (1) illustrent les carences de la prévention et de la prise en charge et annoncent une faillite des systèmes de santé. Aujourd’hui, la facture mondiale du diabète s’élève à 700 milliards de dollars. Aux Etats-Unis, elle a augmenté de 320 % au cours des dix dernières années. Et en 2030, il faudra compter avec 600 millions de diabétiques.
Alors, comment faire pour enrayer cette machine infernale ? Impossible de mettre un médecin derrière chaque diabétique et un soignant à domicile pour contrôler l’observance thérapeutique du patient. L’intelligence artificielle (IA) est sans doute l’une des clés.
Pas celle proposée par les prédicateurs qui nous promettent le stockage des données de notre génome sur notre téléphone portable et, en prime, la vie éternelle. Les tenants de l’IA dite forte, « visent à concevoir une machine capable de raisonner comme l’humain », explique l’Inserm.
Séduisante pour certains et contestée par beaucoup d’autres, cette perspective ne va pas aider notre généraliste à renouer une alliance thérapeutique éclairée avec son patient diabétique. Pour autant, l’IA dite « soft » peut dès aujourd’hui lui proposer des technologies adaptées à son exercice. En enrichissant les bases de données mises à sa disposition sur les pathologies, en élaborant des algorithmes capables d’ajuster le traitement au mode de vie des patients, en donnant à ce dernier la possibilité de contrôler l’évolution de sa glycémie et de la partager en temps réel avec son généraliste, l’IA aide le professionnel de santé à prendre sa décision et le patient à se responsabiliser.
Cette IA ne s’est pas substituée au praticien, elle lui a libéré du temps médical pour mieux aborder la situation du malade dans son environnement. « 30 % du temps des professionnels de santé n’est pas consacré à la consultation », a rappelé l’un des intervenants à Pharma HealthTech, mais à des tâches administratives.
Sur la prise en charge des diabétiques et dans d’autres domaines, l’IA a déjà fait son entrée dans les cabinets médicaux et les hôpitaux. Le repérage des mélanomes ou le dépistage des rétinopathies sur des photos grâce à des banques d’images, l’interprétation des mammographies sont quelques exemples de la révolution en marche. « Tous les métiers ayant recours à l’imagerie médicale seront impactés », affirme l’Inserm.
Les médecins se serviront également des big data pour adapter les protocoles classiques à la situation des patients, notamment dans le cancer du sein. Les chirurgiens utiliseront la robotique pour améliorer la précision du geste au bloc ou à distance.
Dans le rapport, Donner un sens à l’intelligence artificielle , remis au Premier ministre en mars 2018, Cédric Villani rappelait que « la consommation excessive d’alcool est associée à un triplement du risque de démences en général et un doublement du risque de développer la maladie d’Alzheimer, ce qui en ferait un facteur de risque modifiable majeur pour ces malades. Ce résultat a été obtenu à partir de données exhaustives des hospitalisations en France entre 2008 et 2013 ».
Par cet exemple, le député de l’Essonne pointait à a fois les formidables perspectives ouvertes par l’IA dans le domaine épidémiologique mais également les écueils possibles. Ils ont trait au recueil des données. Qui pourra en garantir la qualité, comment seront-elles exploitées et qui en sera propriétaire ?
En injectant depuis des années des milliards dans ce domaine, les GAFA ont clairement affiché leurs ambitions. Avec retard, les gouvernements ont pris conscience des dangers de la « privatisation » de ces données santé. En France, la création d’un Health Data club a été actée dans le projet de loi adopté la semaine dernière en première lecture par les députés.
La bataille est ouverte. Elle se jouera sur le terrain économique mais également sur la capacité des opérateurs à mettre l’IA au service des médecins et non le contraire, et à concevoir des outils permettant aux patients de mieux vivre avec leur maladie.
(1) Colloque organisé par la revue Pharmaceutiques et la société Techtomed