Hilarant, pas vraiment. Comment le protoxyde d’azote (N20) utilisé comme agent anesthésique en médecine peut-il se retrouver dans des soirées festives et, dans certains cas, provoquer des troubles cardiaques et des atteintes neurologiques graves ? Le plus simplement du monde. Première étape, acheter dans un supermarché pour une modique somme (moins de 10 euros) des cartouches destinées aux siphons de cuisine, à chantilly, par exemple. Il suffit ensuite de remplir un ballon avec le gaz et de le libérer lentement dans la bouche. Au moins de trente secondes, l’effet est garanti : l’azote va provoquer une sensation d’euphorie ou déclencher des hallucinations ou des fous rires. Mais ce gaz dit hilarant peut également conduire aux urgences. En toute légalité.
Face à ce détournement de l’usage, huit sénateurs (1) viennent de déposer une proposition de loi pour interdire la vente aux mineurs du protoxyde d’azote et pour obliger les fabricants à signaler les risques potentiels sur les emballages. Les parlementaires proposent de sanctionner par un an de prison et 3750 € d’amende « l’incitation d’un mineur à inhaler ou absorber du gaz protoxyde d’azote à des fins autres que médicales ». Des mesures à la hauteur du phénomène.
Il suffit de surfer sur le net pour s’en convaincre. Certains sites en libre accès expliquent « comment en consommer de manière sûre » pour « une montée fiable d’euphorie ». Tout en signalant les précautions d’usage, les auteurs de l’article se veulent rassurants en décrivant les effets d’une « substance à faible risque ».
Les autorités sanitaires sont, elles, beaucoup moins rassurantes. Si dans les années 2000, explique l’OFDT (2), l’usage du N20 était limité à des « scènes festives alternatives », ces capsules se retrouvent aujourd’hui dans l’espace public, sur les trottoirs des villes, dans des soirées étudiantes à Paris, Lille, Lyon ou Bordeaux et dans des « bars proto ».
De son côté, le réseau d’addictovigilance relevait en février 2019 qu’au cours des derniers mois, « les cas d’abus et de dépendance déclarés dans les Centres sont en hausse » avec « des conséquences graves ».
Une étude menée entre 2015 et 2017 par le Centre de Bordeaux auprès de 10 000 étudiants âgés de 21 ans en moyenne signalait que « le protoxyde d’azote est la deuxième substance la plus consommée après le cannabis ». Un jeune sur quatre l’a expérimenté.
Le prix attractif, sa facilité d’usage en ont fait un produit « tendance ». Mais comme l’effet est rapide et court, les adeptes multiplient souvent les prises successives. « Le nombre de cartouches consommées peut être élevé par soirée, des consommations de 2 000 cartouches/semaine sont rapportés dans la littérature », note l’Association des Centres d’addictovigilance.
Dans un tiers des cas, le recours au N20 est associé à d’autres substances psychoactives. Ces consommations répétées et mixtes peuvent entraîner des maux de tête, des vertiges et des troubles graves du rythme cardiaque. Plus grave, le gaz hilarant peut endommager le système nerveux avec atteinte de la moelle épinière. Il aurait fait déjà deux morts en France et une vingtaine en Angleterre.
Pour autant, la proposition de loi déposée par les sénateurs a peu de chance d’aboutir. Dans sa réponse à l’un d’eux, Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre de la Santé a été très claire : « Seules des approches de prévention globale auprès des jeunes pourront, nous semble-t-il, porter leurs fruits, même si, et nous le reconnaissons, nous ne pourrons prétendre à éradiquer complètement certaines pratiques de nos jeunes ».
(1) Valérie LÉTARD, Frédéric MARCHAND, Olivier HENNO, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Pierre DECOOL, Dany WATTEBLED, Éric BOCQUET et Brigitte LHERBIER
(2) Observatoire français des drogues et des toxicomanies