L’image du généraliste exerçant seul dans son cabinet et gravissant quatre à quatre les escaliers pour « visiter » un patient appartient au passé. Deux études publiées cette semaine par la Dress (1) attestent que l’exercice libéral des médecins a pris un tournant décisif.
La première, réalisée avec un panel de 3 300 praticiens (2), révèle que 61 % des généralistes travaillent en groupe. Et ce qui est aujourd’hui une tendance générationnelle va très vite devenir la norme. Depuis 2010, le nombre de ces regroupements a progressé de 7 points. Plus marquant encore, 81 % des moins de 50 ans ont choisi cette forme d’exercice (44 % des plus de 60 ans). Et 9 fois sur 10, ces omnipraticiens s’associent avec un autre généraliste. Un sur quatre ouvre son cabinet à des paramédicaux – des infirmiers principalement – et, beaucoup plus rarement (6 %) à des médecins d’une autre spécialité.
La seconde étude produite par la Drees (2) justifie cette orientation. Les généralistes travaillent en moyenne 54 heures par semaine. Plus d’un quart d’entre eux affiche 60 heures au compteur hebdomadaire. L’essentiel de ce temps de travail (44 heures et 30 minutes) est, bien sûr, consacré aux patients, le reste étant dévolu à des tâches administratives et à de la formation continue. La durée moyenne d’une consultation est de 18 minutes, voire 15 minutes pour un quart des généralistes.
Ces horaires de travail s’adaptent bien à la vie privée, estiment 60 % de ces professionnels. Un chiffre qui laisse à penser que près de la moitié des généralistes s’accommode mal de cette charge.
« La durée moyenne du temps de travail reste quasiment stable depuis 2014 », observe, en outre, la Drees. Mais les conditions de travail du généraliste, elles, ont bien changé. Il est soumis à des contraintes de plus en plus fortes pour « normer » sa pratique, réduire les coûts de ces prescriptions, ou même augmenter la cadence de ses consultations. Son statut s’est dégradé. Le notable d’hier est devenu un produit de consommation que les patients n’hésitent pas à mettre en concurrence à la moindre contrariété.
Dans ce nouvel environnement, il semble difficile de faire perdurer l’ancien modèle. Les médecins du baby boom ont été biberonnés au libéralisme et à l’individualisme. Il suffisait d’augmenter le curseur du nombre de consultations, de majorer ces tarifs en secteur 2 (honoraires libres) pour assurer des revenus conséquents. Petite contrainte, il fallait pour cela augmenter les cadences de travail. L’Assurance maladie remboursait sans compter et le patient, lui, écoutait en silence.
Comme dans la plupart des secteurs, ce système du tout libéral a montré ses limites. Les déficits de la sécu se sont creusés, la qualité de l’acte médical est souvent remise en cause, les exclus des soins ont augmenté et les déserts médicaux se sont multipliés. Obéissant au mouvement de balancier, les Français réclament maintenant plus de protection et un retour de l’Etat pour leur garantir. La crise économique est passée par là.
L’exercice médical n’échappe pas à ce mouvement. La jeune génération des généralistes rejette même la recette des aînés. Les diplômés des dernières années refusent de travailler autant, de sacrifier leur vie de famille ou leur qualité de vie alors qu’ils ont été déclassés socialement.
En optant massivement pour le cabinet de groupe, ces médecins préfigurent un système dans lequel l’Assurance maladie prendra en charge des prestations pour une patientèle donnée mais remboursera de moins en moins l’acte médical. L’un des principaux piliers de la médecine libérale !
(1) Drees Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.
(2) 4ème Panel d’Observation des pratiques et conditions d’exercice en médecine générale
Un système par capitation?
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