Sida : la Cour des comptes lève le voile sur une épidémie cachée

De la maladie « honteuse » des années 80, le sida serait-il devenu 40 ans plus tard une « épidémie silencieuse »? Dans l’enquête sur La prévention et la prise en charge du VIH réalisée à la demande du Sénat et publiée le 9 juillet, la Cour des comptes affirme que cette épidémie « est toujours active et mal circonscrite ».

Il suffit de regarder les chiffres pour s’en convaincre. Sur les 173 000 personnes qui vivent en France avec le VIH, 31 000 échappent à la prise en charge et ignorent leur statut sérologique pour 24 000 d’entre elles. Difficile de contrôler la maladie, admet la Cour, lorsque 60 % des nouvelles contaminations seraient liées à cette « épidémie cachée ».
Depuis dix ans, le nombre de nouveaux cas reste stable, 6424 en 2017. « 30 % des découvertes le sont à un stade avancé de la maladie dont 15 % au stade du sida », précise le document.
Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes représentent près de la moitié (44 %) de ces nouvelles découvertes en 2016. Les migrants originaires d’Afrique Subsaharienne constituent l’autre catégorie de la population particulièrement touchée par le virus.

Pourtant, les avancées scientifiques majeures rendaient envisageables « les perspectives d’extinction des nouvelles contaminations », à l’horizon d’une décennie, estime la Cour. L’ONUSIDA avait même fixé en 2014 un triple objectif : que 90 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique, que 90 % des personnes infectées dépistées reçoivent un traitement antirétroviral et que 90 % des personnes ainsi traitées aient une charge virale contrôlée à un niveau indétectable, les rendant non contaminantes.

Alors qu’elle avait réhaussé ces trois objectifs (95 % en 2020), la France n’a « manifestement pas atteint » le premier. 85 % seulement des patients savent qu’ils sont porteurs du virus.
Notre pays « ne s’est pas donné les moyens des ses objectifs », tranchent les auteurs de cette enquête. C’est même toute la politique de prévention qui doit être « repensée et amplifiée », ajouent-ils. A commencer par les investissements. Les dépenses liées au dépistage (147 M€) représentent moins de 10 % du budget consacré à la lutte contre la maladie (1,6 Md€).

Et pourtant. Plus pratiques, plus rapides, les nouveaux outils d’aide au dépistage devaient permettre de faciliter la démarche en population générale (au moins une fois dans la vie) et de manière régulière pour les populations à risques. Résultat, il n’y a eu en 2017 que 5,6 millions de sérologies réalisées, 55 770 tests rapides d’orientation et de diagnostic (TROD) effectués et  73 000 autotests vendus. La Cour propose d’autoriser « le remboursement par l’assurance maladie des sérologies en laboratoire de ville sans prescription médicale » et de faciliter  « la diffusion des autotests et des TROD » avec une expérimentation en pharmacie.
Même constat pour les traitements préventifs ou prophylaxies post-exposition et pré-exposition : « leur plus large diffusion » suppose « la levée d’obstacles juridiques et financiers ».

Si les enquêteurs reconnaissent que « la prise en charge médicale est satisfaisante », ils regrettent que les actions de prévention, en direction des ados notamment,  restent « timides » et constatent « une dégradation continue du niveau d’information ». 23 % des jeunes s’estiment mal informés contre 11 % en 2009. A cette époque, 98 % d’entre eux estimaient que le préservatif était efficace pour empêcher la transmission de la maladie, ils ne sont plus que 94 % à le penser aujourd’hui. De fait, près de 20 % des lycéens et 48 % des étudiants n’utilisent plus systématiquement le préservatif.

En transformant dans les années 2000 une maladie mortelle en pathologie chronique, les trithérapies ont produit un effet secondaire inattendu : la baisse du niveau de vigilance de la population et du degré d’implication des pouvoirs publics. Pourtant, la France était un porte-drapeau dans la bataille contre le sida. Un prix Nobel en 2008 pour la découverte du virus, 4 000 publications sur les 75 000 rapportées dans le monde entre 2013 et 2017, l’engagement dans les pays du Sud, l’excellence française semble aujourd’hui piétiner sur le terrain de la prévention.
Avec plusieurs recommandations, la Cour des comptes invite les acteurs nationaux et territoriaux à conduire une stratégie opérationnelle avec des objectifs assumés par le ministère de la Santé dans les domaines de la prévention et du dépistage. Le message est clair : cette dernière bataille est loin d’être gagnée.

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