Urgences : la partie émergée de l’iceberg

Déjà absente du grand débat national, la santé ne figure pas non plus à l’agenda politique du gouvernement pour cette rentrée. Certes, le projet de loi portant sur la révision de la loi bioéthique agite les consciences mais les incendies qui couvent dans les hôpitaux ne semblent pas inquiéter outre mesure l’exécutif. Le premier servant sans doute d’écran de fumée aux seconds.
Et pourtant. En se rendant dans les hôpitaux, Agnès Buzyn ne peut que constater, semaine après semaine, l’ampleur du désordre aux urgences. La moitié des 474 services est en grève et la colère se répand à tous les étages. Le 10 septembre, les médecins hospitaliers pourraient décider de se rallier au mouvement des paramédicaux. « C’est là qu’on décidera si on fait grève ou pas », avertit le Dr Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France.

Après avoir évoqué quelques mesures lors de son déplacement à Poitiers, la ministre de la Santé doit présenter lundi prochain un plan pour « refonder le modèle des soins d’urgences ». « Ça ne changera pas grand-chose, en définitive », commente le Collectif Inter-urgences, échaudé par les annonces déjà faites.
Pour éviter des hospitalisations inutiles, Agnès Buzyn propose, par exemple, que les Samu déposent les patients non plus à l’hôpital mais dans un cabinet libéral ou dans une maison de santé. A supposer que les services d’aide médicale urgente jouent les taxis blancs, encore faudrait-il trouver un médecin libéral pour prendre en charge ces usagers. Or, c’est justement l’un des maillons faibles de la chaine de soins.
La délégation de tâche des médecins vers les infirmiers, la généralisation des filières d’admission directe pour les personnes âgées et la vidéo surveillance entre les Ehpad et le Samu correspondent, elles, à de réelles attentes de la part du personnel soignant.

Mais la ministre aura beau multiplier les remèdes pour faire tomber la fièvre aux urgences, elle ne parviendra pas à soigner la maladie dont souffre depuis des années le secteur hospitalier. Et ce n’est pas uniquement une histoire d’argent.
Une étude de la Drees (1), dévoilée opportunément cette semaine, en fait la démonstration. Entre 2013 et 2018, le nombre d’admissions aux urgences  est passé de 16,5 millions à 19 millions. Une augmentation de 14 % mais les moyens ont suivi. Le budget a progressé de 16 % (3,5 milliards d’euros en 2018). Les effectifs ont, eux aussi, évolué : +16 % pour les infirmiers, + 14 % pour les aides-soignants et + 9% pour les médecins.

L’équation est implacable, elle met en évidence toutes les carences du système. Avec une médecine libérale repliée sur elle même et un hospitalo-centrisme forcené, la régulation des vraies et fausses urgences entre ces deux entités reste un échec cuisant.
Pas de coordination à l’extérieur des murs et à l’intérieur non plus. « Dans les hôpitaux cohabitent des lits vides en chirurgie, des services de médecine pleins à craquer ne sachant parfois plus où faire sortir des malades dont les services de soins de suite », constate dans une tribune publiée dans Le Monde,  Madjid Si Hocin, médecin hospitalier.
La machine s’est enrayée et le personnel s’est démotivé. Dans la course au rendement imposée à tous les niveaux, les hospitaliers ont perdu le sens de leur mission. Au juste soin, s’est substitué le soin rapide et rentable. Un tiers des effectifs serait en situation de burn out. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de voir les générations se détourner du service public et le nombre de postes laissés vacants augmenter un peu partout.

« Au-delà des urgences, c’est le système de santé dans son ensemble qui est déstabilisé », constate Madjid Si Hocin. Pour éviter une catastrophe pourtant annoncée de longue date, c’est l’ensemble du personnel hospitalier qui doit être entendu. Une remise à plat s’impose au niveau national. L’attachement des personnels au service public ne suffit plus à circonscrire l’incendie. Il menace l’édifice hospitalier et la ministre de la Santé dispose aujourd’hui d’un arrosoir pour l’éteindre.

(1) Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques

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