Trop tard ou pas ? Penchés à la fenêtre du ministère et de Matignon, Agnès Buzyn et Edouard Philippe ne vont pas manquer cet après-midi de se poser cette question en voyant défiler les cortèges de blouses blanches dans la capitale. Aides-soignantes, infirmiers, médecins, chefs de service, aujourd’hui, l’hôpital parle d’une seule voix pour exprimer un ras-le-bol général.
Il ne date pas d’hier et le gouvernement d’Emmanuel Macron n’en porte pas l’entière responsabilité. Mais il est le fidèle héritier d’une politique qui a consisté jusqu’à présent à traiter une maladie chronique avec du Doliprane. Avec l’idée qu’une rallonge budgétaire pouvait, de temps à autres, faire avaler la pilule de la rigueur, l’exécutif, quelle que soit sa couleur, a laissé la contagion se propager à tous les étages des centres hospitaliers.
Pourtant, la maladie dont souffre l’hôpital est bien connue et les remèdes aussi.
Le premier est de mettre un terme au régime maigre. Alors que l’évolution tendancielle des dépenses de santé, liée au vieillissement de la population et à l’augmentation des maladies chroniques, est de l’ordre de 4,5 %, le Parlement s’apprêtait à voter une augmentation (Ondam (1)) de 2,1% pour le budget 2020. Face à l’ampleur de la mobilisation, le gouvernement a différé le vote pour réviser sa copie. Il pourrait finalement s’élever à 2,4 %. Cette bouffée d’oxygène de 240 millions sera-t-elle suffisante pour calmer la colère des hospitaliers et les revendications salariales ? Pas sûr.
Car, en arrière plan des tractations sur les masses budgétaires, se cache un mal plus profond. Les cadences imposées ont non seulement conduit à un épuisement ressenti par près de la moitié des effectifs mais elles ont aussi fait perdre le sens de la mission qui animait médecins et infirmiers. L’hôpital, symbole du service public et de l’excellence, s’est fissuré et les personnels sont partis en nombre s’abriter sous les toits du secteur privé. Et les postes vacants ne font plus rêver la jeune génération. Résultat, ceux qui restent sont condamnés à gérer la pénurie.
Pour mettre un terme à ce cycle infernal, augmenter la décimale de l’Ondam ne suffira pas. C’est une réforme profonde qui s’impose à commencer par celle de la tarification à l’activité (T2A) qui pousse à « faire du chiffre » sans se soucier de la pertinence des actes. Et pourtant, « c’est la mère de toutes les batailles », martèle dans Le Figaro, Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF) qui regroupe 1 000 hôpitaux publics. Opérations inutiles, scanners de complaisance, analyses refaites pour rien, la liste des gaspillages est longue. Sans compter les écarts inexpliqués de 1 à 3 d’une région à l’autre des taux de césarienne, d’opérations de la hanche ou des amygdales ou des durées d’hospitalisation.
Pour le patron de la FHF, la lutte contre les actes redondants ou inutiles représente un gisement de 60 milliards d’euros. La ministre de la Santé ne dit pas autre chose en affirmant que 30 % des dépenses d’assurance maladie ne sont pas pertinentes. Dans le cadre de son plan Santé 2022, Agnès Buzyn a promis de s’attaquer à ce chantier comme, d’ailleurs, à celui de la T2A.
Mais que va-t-elle dire la semaine prochaine aux urgentistes qui vont connaître de nouvelles périodes de tension à l’approche des fêtes, à l’infirmière qui n’arrive plus à boucler ses fins de mois alors qu’elle aligne des journées de 12 heures et des nuits de garde et au chef de service qui jette l’éponge parce que ses tâches administratives ont pris le dessus sur sa mission de soignant ?
Ce qu’elle ne dira sans doute pas, c’est merci à ses prédécesseurs !
(1) Objectif national de dépenses d’assurance maladie