Un jeudi noir, des gares désertées, des embouteillages et des Français coincés à la maison. Combien seront-ils aujourd’hui, retranchés à leur domicile pour faire du télétravail ? Sans doute des millions.
Si la paralysie du pays se prolonge, peut-être pourront-ils alors mesurer les effets d’une forme d’exercice professionnel qui bénéficie d’une bonne image.
En 2017, nous rappelle une publication récente (1) de la Dares (2), 11 % des cadres et 3 % de l’ensemble des salariés pratiquaient du télétravail au moins une fois par semaine. Chez eux ou pas. Car ce mode d’organisation ne doit pas être confondu avec le travail à domicile. Il doit être effectué hors des locaux de l’employeur et s’appuyer sur des « technologies de l’information et de la communication » dans le cadre d’un accord collectif.
Le télétravailleur est-il un homme plus heureux que son collègue de bureau ? En théorie, le tableau est séduisant. Le salarié réduit la fatigue liée au transport, il bénéficie de la confiance supposée de son patron et il s’éloigne provisoirement de la pression et des tensions internes à l’entreprise.
Mais, prévient la Dares, « ces reconfigurations peuvent engendrer de nouveaux risques pour les salariés ».
Si, en moyenne, le télétravailleur travaille légèrement plus (43 heures par semaine contre 42,4 pour les autres), les « intensifs » poussent souvent jusqu’à 50 heures en débordant parfois sur le soir et le week-end. Cet allongement de la durée du travail et les périodes de désynchronisation expliquent en partie qu’ils ne bénéficient pas « d’une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée », constatent les auteurs de l’étude.
Ce manque de disponibilité peut même se transformer en conflit si la personne n’a pas la possibilité de s’isoler dans une pièce dédiée. Cerise sur le gâteau,-maison, les membres de la famille ont tendance à considérer qu’il peut se rendre plus disponible pour effectuer d’autres tâches.
Concernant les rapports professionnels, la balance avantages/inconvénients s’équilibre. Le télétravail comporte « un risque d’isolement du salarié » mais il n’a pas d’influence sur « le sentiment de reconnaissance des supérieurs et des collègues ni sur les perspectives de promotion ».
En revanche l’état de santé du télétravailleur est plus altéré que celui des autres cadres (4 % contre 1 %). L’étude n’établit pas de lien de cause à effet même si 10 % d’entre eux sont en situation de handicap (physique, maladie chronique) contre 5 % chez les autres. Et ils sont deux fois plus nombreux à présenter un risque dépressif modéré ou sévère (17 % contre 8 %).
En clair, le cadre télétravailleur n’est pas plus satisfait de sa situation que les autres. Ce mode d’exercice n’est donc pas un marqueur du bien-être de la personne.
Mais il est peut-être un indicateur pour la société qui l’emploie. On imagine souvent que la nouvelle économie a dopé cette forme d’exercice et que les start-up s’y sont engouffrées allègrement. Comme un signe de vitalité et de modernité. Les chiffres nuancent cette idée reçue.
21 % des télétravailleurs sont salariés d’un établissement qui a connu un plan de licenciement, (4 % des non télétravailleurs), 37 % sont employés dans une société qui a changé de direction ou qui a fait l’objet d’un rachat. Ces résultats, confirme la Dares, suggèrent « une corrélation forte entre déploiement du télétravail et changements organisationnels de grande ampleur ».
D’ailleurs, près d’un télétravailleur sur deux (47 %) estime que son emploi est menacé (12 % pour les autres). Alors peut-être qu’aujourd’hui, il n’est pas chez lui derrière son ordinateur mais dans la rue pour manifester son inquiétude.
(1) « Le télétravail permet-il d’améliorer les conditions de travail des cadres ».
(2) Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques.
