Mais où est donc passé le conseil scientifique Covid-19 installé le 11 mars dernier et présidé par le Pr Jean-François Delfraissy ? Chargé d’éclairer le président de la République sur la gestion et l’évolution de l’épidémie, il semble avoir disparu du radar présidentiel. Alors qu’il ne manquait pas de faire référence aux travaux des sages dans la première phase du confinement, le chef de l’Etat n’y a pas fait allusion lors de son allocution du 13 avril. Pire, la semaine précédente, il rendait visite au Pr Didier Raoult à Marseille qui brille par son absence au sein du conseil scientifique et qui ne manque pas de brocarder « l’influence des spécialistes de la méthode ». En clair, je sauve des vies quand d’autres dissertent.
Emmanuel Macron n’est pas insensible à cette stratégie de rupture. A la manière de Molière et de ses médecins, il y trouve même l’occasion de s’affranchir d’une pensée unique. La médecine fondée sur des preuves n’est pas tout, l’expérience, le terrain et l’intuition sont des atouts majeurs, semble-t-il indiquer en filigrane de ses interventions. Surtout lorsque les armes manquent face à un ennemi invisible.
C’est sans doute l’une des raisons qui a conduit le locataire de l’Elysée à sonner la rentrée de classes le 11 mai. Contre l’avis des instances médicales. D’autres paramètres ont pesé dans la balance : relancer la machine économique et envoyer un signe social en direction des catégories défavorisées pour lesquelles le décrochage scolaire est plus flagrant.
Conscient de l’équilibre fragile entre le politique et le scientifique, le Pr Jean-François Delfraissy fait le dos rond en observant une diète médiatique. Dans la crise actuelle, inutile de faire enfler la polémique. En tout cas, en France.
Car celui qui est aussi président du comité d’éthique n’est pas muet pour autant. C’est de l’autre côté de la frontière avec l’Italie, dans un entretien accordé à La Repubblica que l’éminent spécialiste donne sa lecture des évènements et du contexte. « Je sais par expérience que toute crise sanitaire comporte le risque d’une crise politique et sociale », prévient-il en revenant sur les orientations prises au début : « La pénurie initiale [de tests] a dicté le choix du confinement et pèse encore sur la durée ». Idem pour les masques : « L’OMS et le gouvernement ont eu du mal à admettre la vérité, à savoir qu’il n’y avait pas assez de masques pour tout le monde. Je suis convaincu que les masques sont l’un des outils essentiels pour sortir du confinement », reconnaît l’immunologue.
Une explication que le gouvernement n’a jamais voulu admettre officiellement. Voilà qui est dit.
Mais pas question pour ce médecin de reproduire les erreurs du passé durant la deuxième étape, celle du déconfinement. « Nous devrons être prêts, contrairement à ce qu’il s’est passé la première fois », admet-il en précisant qu’il y aura des « nuances gris » dans la levée du confinement. Autrement dit, comme l’a précisé le Président Macron, les personnes fragiles, âgées ou atteintes de maladies chroniques devront rester à la maison au-delà du 11 mai. Au total, 17 millions de citoyens !
Le Pr Delfraissy entame cette nouvelle étape avec un optimisme tempéré. Au rayon des bonnes nouvelles, le taux de RO (1), qui détermine le nombre de personnes qu’un malade peut infecter, est passé de 3,5 au début de l’épidémie à 1. « Nous pensons que nous allons encore baisser entre 0,7 et 0,8 début mai ». Autres éléments positifs, « le virus n’a subi que «des mutations mineures » et la mise à disposition d’un vaccin « d’ici à la fin de l’année ».
Mais ce qui inquiète, le président du conseil scientifique, c’est bien la particularité de ce virus : « Nous avons constaté que la durée de vie des anticorps protégeant contre le Covid-19 est très courte. Et nous voyons de plus en plus de cas de récidive chez des personnes qui ont déjà eu une première infection ». En un mot, personne n’est protégé contre le coronavirus, pas même les anciens malades ! Ce qui explique peut-être l’effet rebond de l’épidémie que le Pr Delfraissy situe à l’automne.
(1) Le taux de reproduction est le nombre moyen de cas secondaires générés par une personne durant la période où elle est infectieuse, symptomatique ou non.