Le lobby de l’alcool offre sa tournée

Il y a quelques mois, Emmanuel Macron voulait opérer « une révolution de la prévention » pour lutter contre l’alcoolisme. Défenseur du vin et de ses traditions, le président de la République souhaitait associer producteurs et négociants à cette vase opération. Et bien, c’est chose faite !
Reçus cette semaine par Audrey Bourolleau, conseillère à l’Elysée et ex-déléguée général du lobby du vin, les représentants de la profession ne sont pas venus les mains vide. Ils sont repartis avec un large sourire. Avant, ils ont déposé un chèque de 5 millions d’euros pour financer pendant quatre ans des actions de prévention contre la dépendance à l’alcool notamment chez les jeunes et les femmes enceintes. Cette obole était assortie d’une trentaine de propositions.
Apparemment absente de ce rendez-vous élyséen, la ministre de la Santé n’a pas commenté cette « contribution » au plan national de santé publique qu’elle doit présenter dans les prochaines semaines.

Joël Forgeau, lui, ne s’en est pas privé. « Il s’agit d’une grande première », a déclaré le président de Vin et Société. Doit-on interpréter ce commentaire du représentant du lobby viticole comme une conversion soudaine à la santé publique ou la satisfaction d’avoir réalisé un tout de passe-passe avec l’onction présidentielle ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes

Le coût social (1) de l’alcool en France, c’est-à-dire ce que paie la société, s’élève à 120 milliards d’euros, selon un rapport réalisé en 2015 par le professeur Pierre Kopp pour l’Observation français des drogues et des toxicomanies (OFDT). L’alcool tue 50 000 personnes par an, dont 15 000 par cancer et plus de mille sur les routes.
Sur les 10 millions de consommateurs réguliers, 3 % des Français seraient dépendants à l’alcool contre 0,7 % en Espagne et 0,5 % en Italie, selon l’OMS. Mais ils sont très « précieux ». Les addicts consomment 50 % de l’alcool commercialisé.

Depuis des années, les grands pays de production de vin et d’alcools forts ont mis en place des mesures de prévention de nature à faire baisser la consommation. L’augmentation significative des prix ou la mise en place de prix planchers fait partie de l’arsenal dissuasif. Mais rien de tout cela sur nos terres.

Alors, pourquoi la France freine-t-elle des quatre fers ?

Avec 500 000 emplois et un chiffre d’affaire de plus de 22 milliards d’euros dont la moitié réalisée à l’export, la filière de l’alcool est l’une des plus florissantes de notre économie. Et au passage, l’Etat prélève plus de 3 milliards de recettes. Pas question donc de froisser cette industrie en préconisant une hausse de prix.

Et les 500 000 euros annuels investis pendant quatre ans par la filière viticole auxquels s’ajoutent les 700 00 euros des spiritueux et brasseries auront l’effet d’une goutte d’eau dans une barrique de vin.

D’ailleurs, il suffit de revenir trois ans arrière pour comprendre comment les acteurs du vin comptent participer à la lutte anti-alcoolisme.
Sous le slogan « Aimer le vin, c’est aussi avoir un grain de raison », cette campagne avait pour but, selon ses promoteurs, de faire connaître les repères de consommation. « Rappelons que les pouvoirs publics dépensent seulement cinq millions d’euros par an pour conduire des campagnes de prévention alcool et aucune campagne sur les repères de consommation n’a été menée jusqu’à présent », expliquait avec ironie Joël Forgeau.

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L’ensemble des acteurs de la santé publique avait dénoncé cette manipulation et ce fiasco médiatique visant, de manière insidieuse, à inciter à consommer de l’alcool plutôt qu’à dénoncer les excès. « Le lobby du vin a perdu toute modération, tout contrôle, toute retenue », relevait l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie. Ses membres soulignaient que ce « coup de com » intervenait au moment où les Parlementaires s’apprêtaient à assouplir la loi Evin sur l’interdiction de la publicité.

En 2015, le lobby de l’alcool avait gagné une bataille avec l’appui d’Emmanuel Macron. Cette fois, il est en passe de gagner la guerre. Mais certainement pas celle de la santé publique.

(1) Le coût social est composé du coût externe (valeur des vies humaines perdues, perte de la qualité de vie, pertes de production) et du coût pour les finances publiques (dépenses de prévention, répression et soins, économie de retraites non versées, et recettes des taxes prélevées sur l’alcool et le tabac).

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